Léger,I'homme et l'æuvre Tetsuo Kawai JournaI Asahi, Département des Projets Culturels Cuvre dont l'auteur est identifiable par quiconque cultive un intérét pourla peinture, elle porte ね marque d'une originalité sobrement directe, sans ambiguités, au contour net et que rien ne vient troubler.. Au sein de soc 怕 du vingtiéme siécle, surlaquelle défer- lent les flots de l'innovation technologique, Fernand Léger déploie les filets de son sentiment poétique et donne aux événe- ments appartenant au quotidien banal des formes quilui sont propres. Ⅱ s'empare de faits courants pour en faire des sujets de peinture, crée l'apaisement en répandant une ambiance POSée et classique, qui n'est pas sans évoquerl'art archaique. Son style est détendu, regorgeant de clarté, plein d'une généreuse distinction, en un mot, Clai 「 . Les protagonistes de ses tOiles ne sont ni de grands personnages, ni des saints, ni des h 「 OS. Ce sont des hommes anonymes de la Vie courante, tels qu'on en trouve partout, mais ils ont cependant de ね majesté et une pré- sence qui rayonne fortement. Tout en recélant une force concentrée 自 l'instar des sculptu- res, ils se distinguent de ces figures froides, qui se tiennent tou- tes droites dans leur raideur.. Ce qui se dégage d'eux est un por- trait humain qui, tout en conservant un équilibre soutenu par une tension interne, se 「 V e chaleureux, dOté d'humour, tout tranquille. Mais d'autre part, ⅱ régne en eux une ambiance de solitude qui interdit toute projection facile de sentiment. Méme bien aprés qu'il eüt acquis style qui est généralement connu comme étantle sien, une évolution 厄猷 e et raffinée de son art suivit son cours. MaIgré gIOire obtenue, ⅱ se lanqa avec toute son énergie dans l'exploration de nouveaux domaines et ne con- nut pas de déclin de ぬ création dans ね derniére partie de sa vie. Les tourments humains ou les abimes insondables de l'äme lui sont étrangers, et ⅱ est rare que Léger laisse errer sa pensée du cö怕 des chiméres compliquées de ね métaphysique qui se dissimulent derriére les phénoménes réels, ou du Cöté du carac- tére profondément tragique d'un événement. Ⅱ se tient 自 dis- tance d'un esprit artistique complexe et indéchiffrable, ou d'une théätralité du "sensationnel" qui met en scéne des effets accro- cheurs. Ce qui sied ce peintre, c'est l'affirmation optimiste du réel. Cependant, 厄 fait de décréter que son æuvre, parce qu'elle est facile d'accés pour toutle monde et dans go 猷 du grand public, est "quelque chose comme les cartes postales vulgaires que l'on vend dans les foires" et en rester , ne tiendra pas devant 厄 reproche d'étre une critique bien håtive. Les choses ne sont pas aussi simples. Dans ce que Léger a accompli etlaissé dans l'histoire de は peinture du XXéme SiéCle, ChOiX de la machine comme mo ″れ 厄 traitement des plans et des cubes, entre autres, ont stimulé des artistes tels qu'Oskar Schlemmer, Willi Baumeister, LyoneI Feininger, dans contexte de l'art moderne allemand, et parla suite,le chOix de prendre は banale vie quotidienne comme sujet de ね peinture a exercé une influence surle POP' Art américain et anglais des années 60 : ce qui a une signification particuliére et ne dOit surtout pas étre pris 自ね g e. ・ Les années d'apprentissage Ⅱ nait 厄 quatre février 1881. Sa famille, des fermiers, pratique l'élevage de bestiaux Argentan, en Normandie, région du Nord- Ouest de は France. Aprés décés de son pére, ⅱ quitte 厄 pays natal 自 l'äge de seize ans, et entreprend des études d'architec- ture 自 Caen, ville principale du déparement du Calvados, dans 厄 sud de Normandie. Pendant deux ans, ⅱ s'occupe "finir" des dessins d'architecte. Cet apprentissage avait 怕 voulu par son oncle et sa mére, au væu desquels ⅱ s'était plié, maiS lui-méme ne l'accomplit pas de gaieté de cæur, car c'est plutöt dans ね voie de peinture qu'il désirait s'engager,. La familiarité acquise avec l'architecture dut plus tard aider Légerlorsqu'il eut réali- ser ses peintures, structurées selon une SOlide armature. Son arrivée 自 PariS coTncide avec le tournant du siécle. C'était en 1900. Aprés s'étre acquitté du service militaire, ⅱ s'ins- crit, conformément son aspiration initiale, ド ECO des arts décoratifs. Ⅱ ne suivit presque pas les cours de ド ECO , mais son traitement de surface picturale, par plans et dans un esprit décoratif n'est peut-étre pas sans devoir beaucoup l'enseigne- ment qui y était donné. Ⅱ tenta sa chance au concours de ぬ prestigieuse ECOle des beaux-arts, mais fut refusé, et Obligé de s'aiguiller ailleurs, ⅱ fréquenta l'atelier du peintre académique Jean-Léon Géröme, puis celui de Gabriel Ferrier, alla l'Acadé- mie Julian, essayant ainsi de faire Sien métier de peintre. Ⅱ gagna sa Vie en travaillant comme dessinateur chez un archi- tecte et comme retoucheur chez un photographe. Ce furentles années dures de l'apprentissage. ・ Les premiéres æuvres Léger subit l'influence de l'lmpressionnisme qui a d 匂 dépassé son zénith, 「 eqoi い e baptéme du Fauvisme en cours de croissance puiS se lie au Cubisme. «Le jardin de ma mére» (cat. no. 4) daté de 1905 qui décrit dans ぬ maniére pointilliste un parterre de fleurs et de ぬ verdure, se présente encore clairement sous l'influence des lmpression- nistes. La méme année, plusieurs æuvres de couleurs pures, franchement criardes, d'une grande liberté dans jeu des tou- ches, furent exposées dans une salle du SaIon d'automne. C'est l'épisode bien connu, qui fait dire propos de cette salle un critique taquin qu'il s'agit d'une "cage fauves ” , donnant ainsi naissance l'appellation de Fauvisme. En 1907 卩 e Salon d'automne présenta un ensemble de toiles de Cézanne. Cette exposition regroupait d'un coup cinquante- SiX piéces du maitre, qui avait fui vers la fin de sa Vie le parisien de peinture, s'était retiré dans 厄 Midi, Aix-en- Provence, sa patrie, et se consacrait un travail de réalisation dans solitude. C'était une rétrospective,la premiére, et qui venait un an aprés sa mo 「 t. Léger fut fortement stimulé et sa faqon de peindre en fut bouleversée. C'est dans «La couseuse» (fig. 1) que semble apparaitre méthode cézannienne d'appréhension de l'objet. Des coloris contenus, des formes simplifiées donnent au personnage し . 旧 allure de 「 obot. Léger se lie d'amitié avec R0bert Delaunay,le chef de file de I'Orphisme, et subit de sa part une forte influence dans l'usage des couleurs. C'est gräce 自 lui qu'il rencontre Henri Rousseau. L'humeur naive et toute de mystéres du Douanier se transmet Léger.. Si Rousseau qui témoignait d'un immense intérét pour Fernand LÉGER 35
de Le Corbusier et d'autres architectes modernes, qui possé- dent une structure claire. «L'homme ね pipe» (cat. no. 9 ) est peint ぬ méme année. Au centre, passe un axe vertical sur toute la hauteur qui crée l'impression que deux tOiles distinctes 0 猷怕 soudées. La toile est partagée en deux en son milieu. A gauche, l'homme 白は pipe est debout,le pied surle bord d'une structure qui a l'air d'une charpente ou d'un quai d'embar- cadére. On croirait que s'il faisait un pas de plus, ⅱ tomberait. Ⅱ pose légérement son pied sur l'axe vertical du centre, ce qui crée une rupture et empéche la tOile de sombrer dans une monotonie parfaitement symétrique et sans mouvements. Du corps de l'homme, combinaison toute géométrique de cylindres monochromes qui évoquent 厄 métal, mais un peu mod au clair-obscur, qui lui donne du volume, se dégage l'impression d'une chose inorganique, telle qu'un 「 ObOt. Pourtant, ⅱ faut remarquer que, chose rare chez Léger, les doigts,les parties du visage, yeux, nez, sont rendus avec des caractéristiques qui ne sont pas celle d'une machine maiS qui sont humaines. C'est-ä- dire que 厄 visage posséde une certaine physionomie. L'homme tient d'une faqon maladroite sa pipe avec ぬ main gauche, etles volutes de fumée deviennent trois formes sphéri- ques. Puis cette fumée se relie l'arc de cercle qui monte tout au centre, riChe de mouvement. L'arc de cercle est d'environ un quart de circonférence, et ⅱ est colorié distinctement avec des rayures verticales noires et blanches. Le fourneau de pipe constitue point d'origine du mouvement. Le traitement spatial de ね fumée évoque «Les fumeurs» (fig. 3) de 1911. Sur C01 droit, se trouve un escalier blanc et noir qui a une rampe tubulaire. Sur la marche ね plus basse, une énorme bouée de secours, du type de celles qui sont installées surles navires, peinte en jaune et en blanc, est coupée en deux et fixée. Tout de suite d 「 0 杙 e , un disque qui a l'aird'un panneau de signalisation rouge et jaune est attaché une colonne noire. La composition est stable, se fondant presque entiérement surla verticalité et l'horizontalité, avec par endroits des indications en biais. Un rythme alerte se fait sentir, et les plans qui sont coloriés en blanc et noir, noir et jaune, jaune et blanc de maniére accen- tuer clair-obscur constituent la raison de cette sensation rythmique. La rampe de l'escalier etles traits en diagonale de ぬ charpente suggérentla profondeur de l'espace, mais ね toile est pauvre pour ce qui est de は sensation des perspectives, et man- que de cohérence dans les régles appliquées pour rendre l'espace dans sa profondeur. La tona ⅱ怕 fondamentale qui régne surl'ensemble de ぬ tOiIe estla planéité. En 1927 , sa maniére se modifie, s'éloigne, en changeant brusquement de cap, de son style abstrait composé d'éléments géométriques, et ⅱ commence réaliser des tOiles abondant en motifs figuratifs, selon une technique réaliste, qui permettent de comprendre avec une relative facilité ce qui y est décrit. Son sens trés Vif de ね composition est intact, maiS les formes sem- blent flotter, comme si elles avaient perdu leur pesanteur, dans un vaste espace. L'année suivante, en 1928 , les "formes dans l'espace" perdent encore plus de leur poids et flottent de faqon encore plus légére. Les structures qui soutiennent ne pas visibles surla tOiIe, etles Objets sont en suspension. Entre Fernand LEGER 38 les ObjetS, joue une tension, qui serait comme une force d'attraction déterminée, faisant varierles couleurs (cat. nos. 16 , 17 , 18 , 20 , 22 ). •«La Joconde aux clefs» En 1930 , une de ses æuvres représentatives, «La Joconde aux clefs» (cat. no. 25 ) est achevée. C'est une æuvre dans laquelle se manifeste sans détours son dessein de viser les effets de contrastes. Au départ, l'artiste avait peint un trousseau de clefs au premier plan, et ne trouvant pas contraste adé- quat, ⅱ avait laisséね chose telle quelle pendant un certain temps. Se promenant par hasard, Léger vit dans une devanture de は rue, une carte postale de ぬ Joconde de Léonard de Vinci et fut traversé parl'idée que ぬ chose ね plus éloignée du trous- seau de ClefS était "un visage humain ” . Dans cette 10 ⅱ e également, les motifs sont en suspension. Sur un fond qui a l'air de nuages, un trousseau de ClefS, une bOtte de sardines, un disque, un fanion, des piéces de machi- nes, un ruban, tout cela flOtte légérement. lls SO 猷 détachés du support, comme s'ils étaient dans un état d'apesanteur.. Ⅱ y a une æuvre célébre de Marcel Duchamp, qui est sa «Joconde» agrémentée d'une moustache. Duchamp fait une parodie de ね Joconde elle-méme, ぬ fait dégringoler du haut de son tröne de classique de ド a 駕 nie l'art auquel on voue un culte dans temple du Beau, détruit toutes les valeurs etles tradi- tions établies. Chez Léger, pourtant, ce type d'état d'esprit est peu présent. Duchamp et Léger se connaissaient bien personnellement. Mais ils possédaient des personnalités fort différentes. Duchamp était doué d'un esprit d'aventure, intellectuel, plein de talent, et d'une curiosité tournée vers l'expérimentation, teintée d'un char- latanisme, fait pour étonnerle public. Léger, tout au contraire, vise des formes näives et honnétes. La technologie subtile et complexe engendrée par la civilisation contemporaine, c'est Léger qui l'aura traduite en des formes solides aprés y avoir introduit une ViSion simple et aisée. L'allure des machines qu'il décrit nous présente un aspect de l'univers technique moderne. Léger qui était suffisamment conscient d'étre un peintre du XXéme SiéCle fut sous 厄 charme de ね beauté mécanique dont ⅱ fitle centre de son travail. Ⅱ existe Chez Lautréamont, ce précurseur du surréalisme, célébre par ses Chants de Ma/doror, recueil de textes poétiques en prose, une formule connue qui est "la rencontre sur une table de dissection d'un parapluie et d'une machine coudre". Cette devise qui est appréhender comme symbolisant un événement de l'univers du réve, du fantasme, de l'inconscient, peut étre appliquée une lecture de Léger qui a provoquéね rencontre fortuite de Joconde et d'un trousseau de clefs. Cependant, au cæur du travail de Léger, tourbillonne une forte et simple volonté plastique quile différencie du sur- réalisme. Un trousseau fait de m froid, dur et acéré, etle corps de Mona Lisa, ね«Joconde», tout en rondeur, 自ぬ chair tendre et généreuse. L'on est attiré par la nouveauté de cette association, par は puissance du contraste. Et l'on peut affirmer que Léger est du fond de son étre un vrai "artiste-peintre", qui ne va pas
publics. Dans tous les pays confrontés cette crise CO - nomique et sociale, on réclame un art collectif et destiné au grand public. Cette tendance se ressent particuliérement tra- vers mouvement de peinture murale qui s'épanouit au Mexi- que, au sortir de は révolution de 1910. Des artistes mexicains tels Rivera, Orozco et Siqueiros travaillent également aux Etats- Unis et Rivera réalise une peinture murale Détroit ( fig. 14 ). Les Etats-Unis attirent aussi Léger qui envisage de réaliser un grand art social et populaire. A partir de 1931 , ⅱ effectue plusieurs fOis ね traversée de l'Atlantique. Ses efforts aboutiront, en 1952 , ぬ décoration du Palais de ド ONU. 1936 est une année décisive dans l'histoire politique fran- qaise. Le Front Populaire, acclamé parle peuple enthousiaste, prend le pouvoir. Plusieurs tendances de gauche sont rassem- blées et, pourla premiére fois,le Parti Communiste est repré- senté au sein du gouvernement. On encourage, parmi les ouvr- iers,le sport etles sorties ね campagne. Les tOiIes que Léger exécute de ね Seconde Guerre Mondiale jusqu'aux années 1950 ont souvent pour sujet des ouvriers qui profitent des loisirs que leur Offre fin de semaine. Ce théme pictural remonte aux années du Front PopuIaire. Le Front Populaire rassemble toutes les tendances politi- ques de gauche, mais aussiles artistes d'avant-garde:I'AIIema- gne nazie a en effet condamné l'art moderne comme un d g n r ざ '. Cependant tous n'avaient pas les mémes concep- tions plastiques et de violents débats opposaientles membres de ce rassemblement anti-fasciste. En Union Soviétique, partir des années 1920 , l'art avant-gardiste avait 怕 annihilé et, en 1934 ■ e réalisme socialiste devenait l'art officiel. L'opposition entre réalisme socialiste et l'art moderne apparait trés nette- ment, en France, dans は "QuereIIe du Réalisme" qui oppose, en 1936 , Aragon d'un cöté et, Le Corbusier et Fernand Léger de l'autre. La peinture murale (fig. (5) réalisée par Léger pourla salle de culture physique du Pavillon franqais de I'Exposition Univer- selle de BruxeIIes, en 1935 , est une parfaite illustration de sa conception du "Nouveau Réalisme". Son travail qui se présente sous は forme d'une grande composition s'adresse directement au grand public parl'intermédiaire du théme du sport, tout en conservant un langage propre l'art moderne. L'Exposition Universelle qui se tient Paris en 1937 refléte ね gravité de ね situation politique qui touche I'Europe etl'opposi- tion des milieux artistiques face cette crise. Une photographie de は Tour Eiffel prise du haut de l'esplanade du Trocadéro nous montre, droite,le Pavillon soviétique surmonté par une gigan- tesque sculpture représentant un couple d'ouvriers, tandis que 厄 Pavillon allemand, gauche, dessiné par Albert Speer,l'archi- tecte p 虍怕馗 d'HitIer, est surmonté d'un aigle ( fig. 16 ). Cette phO- tographie nous parait étre un témoignage remarquable des tensions politiques, en Europe, ぬ veille de Seconde Guerre Mondiale. Léger, toujours 自 sa propre conception de l'art public, a réalisé des peintures murales pour cinq Pavillons. Le photo- montage—aujourd'hui disparu—qui décorait PaviIIon de I'Education représentait des turbines, des pylönes électriques, un ouvrier. Cette æuvre avait pour titre «TravaiIIer» ( fig. 17 ). pour Pavillon de ね Découverte, ⅱ utilise l'huile et prend comme support une tOile de grandes dimensions. Ce tableau qui Fernand LEGER 52 n'existe plus, était intitulé "Le transport des forces". L'artiste avait chOisi de célébrerla force hydroélectrique par une juxtapo- sition ね maniére d'un collage cubiste ou d'un photomontage dadä(ste ( cat. no. 77 ). Malgré les efforts de Léger pourla recherche d'un art acces- sible au grand public, c'est Picasso qui réalisera l'æuvre plus importante pour cette Exposition Universelle, avec «Guernica», exposée dans 厄 Pavillon espagnol, qui Offre les dimensions d'une véritable composition murale. Les æuvres les plus significatives de Léger pendant les années 30 ne sont pas ces décorations murales destinées au grand public, mais bien plutöt les grands tableaux qu'il a peints, solitaire, dans son atelier, PariS. Ces compositions nous présentent, d'un cöté, un homme et une femme aux corps massifs et, de l'autre, une structure architecturale Oüは vitesse etles lumiéres caractéristiques de ぬ civilisation technologique moderne sont absentes. Ces figures humaines figées dans 厄 temps éternel nous révélent sa conception de l'humanité. Ces tOiIes témoignent tout autant que Guernica, de は tentative d'un artiste, face ces annees critiques. En 1940 , Léger part se réfugier aux Etats-Unis, emportant avec lui «Composition aux deux perroquets» (fig 18 ) æuvre laquelle ⅱ attachait une grande importance. Cette toile, qu'il aurait aimé présenter au public franqais, fut pour la premiére fOis exposée aux Etats-Unis. [Traduction Erika PESCHARD-ERL 旧 ]
rien n'est laissé au hasard, une peinture de certitude, malgré les doutes qui ne cesseront de l'assaillir sa Vie durant, une peinture de force, de puissance, solidement charpentée 0 む lignes préci- ses, formes nettes, couleurs pures, sont en constante OPPO- sition. "J'organise, cira-t-il, l'opposition des valeurs des lignes et des couleurs contraires, j'oppose des courbes des droites, des surfaces plates des surfaces modelées, des tons locaux 自 des tons nuancés. Son æuvre, en permanence, oscillera autour de cette ー Oi. 1904-1905. Contrastes dans 厄 dessin, opposition des courbes et des droites. 1908-1911. Contrastes des formes géométriques et des ments modelés «Les Nus dans は fO t ” , «Les Fumées sur les toits». 1912. Contrastes de ね couleur pure inscrite dans une forme géométrique avec des plans modelés. «La Femme en bleu» sera 厄 point de départ de l'importante tOiIe «La Ville», 1919. 1920. Contrastes accentués entre les couleurs,le dessin, les valeurs qui provoquent l'intensité de période mecamque. 1921. Le méme esprit présidera ね réalisation des «Paysages animes» et des scénes d'intérieur «Le Grand Déjeuner». 1924. Avénement de l'objet devenu son tour "sujet". Con- traste de l'objet avec des formes réelles ou inventées. 1928-1930. L'objet est ⅱ b de toute contrainte, Léger crée «Le Nouvel espace» en dispersantles objets de faqon dyna- mique et en contrastes avec les personnages, des formes réelles ou inventées. 1935-1945. Violence des contrastes (dessins, formes, couleurs) pour mieux exprimer l'intensité du mode de Vie américain. La couleur traitée séparément du dessin devient une valeur "constructive ” de son art. 1945-1955. Retour aux "Grands Sujets", contrastes entre les personnages de plus en plus individualisés, humanisés, avec le milieu qui les environne. Dépourvus de toute déformation maladive ou morbide,les personnages res- pirent は santé, ね force, ぬ jOie de vivre et ils sont un mes- sage d'espoir et de confiance: «Les Loisirs», «Les Con- structeurs», «Le Campeur», «La Grande Parade», «La Partie de campagne». Ses derniéres compositions figuratives aux formes et aux couleurs exaltantes sont, parleur sobriété et leur puissance, animées d'optimisme, d'espoir. "Le peintre est un homme comme les autres, maiS ⅱ découvre les choses plus vite que les autres" précise Léger, " ⅱ a pourlui un don d'assimilation rapide et c'est cette vitesse qui va étre une des raisons de la nouveauté de son æuvre et qui va accentuer hélas, l'état de séparation entre lui et ses contem- porains. Mais, ajoute-t-il, ⅱ y a un temps de confusion entre ね création et sa possibilité de compréhension. Ce temps qui sem- ble un désordre devient ordre et tradition son heure. Le génie créatif consiste trouver un ordre nouveau qui ne peut étre sen- sible I'Humanité que plus tard. On devancera toujours goüt de son époque. AntiméIodique par nature, n'ayant du monde et des quoti- diennes réalités de la Vie qu'une ViSion tout en contrastes, l'æuvre de Léger toujours en prise directe avec la Vie, æuvre intense de formes et de couleurs s'opposant entre elles, est apparue aux yeux de certains nostalgiques du "bon goüt ” comme étant l'expression d'une intransigeance excessive alors qu'en 「 a ⅱ t elle est une formation tOtale, sincére, de ses con- victions plastiques; illui en a souvent COüt et souvent ⅱ connut ぬ désaffection, l'indifférence d'une incompréhension. Aujourd'hui son æuvre apparait comme se reliant directe- ment grande lignée des classiques franqais de David lngres et de Courbet Seurat. Classique, sa peinture est une 'peinture ouverte" Elle "ouvre" ね voie de nouveaux développements, un art nouveau, nouvelle étape dans l'accroissement des richesses artistiques de I'Humanité dont l'æuvre de Léger est une indénia- ble preuve en méme temps qu'elle est un précieux témoignage pour les hommes de demain. Publication: Fernand Léger, Vivre dans le vrai, Paris, Adrien Maeght Editeur, 1987 Fernand LÉGER
■「画家も同じ人間なのだが , 他の人たちに比 べて素早く物事を見いだすのだ。画家は物事 を素早く吸収する天賦の才を身につけており , この早さこそが彼の作品の新しさの理由のひと っとなりうるものだし , 悲しいことだが , 彼と同時 代人との乖離状態を強調するものなのだ」。さ らに続けて , 彼はこう言っている。「創造と理解 の可能性との間には混乱の時期がある。無秩 序と思われるこうした時期も , 時が至れば秩序 と伝統になる。創造的な天才は , もっとのちに なってからしか人類には感じられないような新 しい秩序を見いだすことにある。画家はつね に時代の趣味に先行するのだ」。 G. B. Le peintre est un homme comme les autres, maiS ⅱ découvre les choses plus Vite que les autres. Ⅱ a pourlui un don d'assimi- lation rapide et c'est cette vitesse qui va étre une des raisons de la nouveauté de son æuvre et qui va accentuer, hélas, l'état de séparation entre lui et ses contemporains en ajoutant par ailleurs: 。Ⅲ y a un temps de confusion entre création et sa possibilité de compréhension. Ce temps qui semble un désordre devient ordre et tradition son heure. Le génie créatif consiste trouver un ordre nouveau qui ne peut 0 e sensible l'humanité que plus tard. On devancera tou- jours goüt de son époque . G. B. 47 2 羽の鳥のいるコンホジション ( 黄色の背景 ) Composition aux deux oiseaux sur fond jaune 1955 油彩 , カンヴァス huile sur toile 130X89Cm Musée NationaI Fernand Léger, BiOt Donation N. Léger et G.Bauquier Fernand LEGER 178
Fernand Léger Siegfried GOhr Professeur d'histoire de l'art, Karlsruhe et Cologne Ce ne sont pas les thémes et motifs de ね tradition chré- tienne et antique de l'histoire européenne; ce n'est pas la Vie de l'artiste lui-méme, enveloppée dans un habit mythologique comme chez Picasso, pas 厄 caractére intemporel d'une incono- graphie classique dans 厄 style moderne, tel qu'il apparait devant nos yeux dans l'æuvre de Georges Braque et Juan Gris, mais c'est ぬ montée de ce qui a peu d'apparence, du sujet que l'on n'a remarqué avant plutöt qu' en passant auquel se voue Fernand Léger. Au début de ぬ création artistique de Léger, 厄 monde du cirque et des acrobates,le monde des ouvriers et de leurs machines forment une sphére caractérisée notamment par des éléments masculins. Au cours de ces premiéres années, Léger traite monde des femmes et des enfants de faqon sem- blable: austére et froide—les femmes lisant,les deux soeurs ou bien salle du petit déjeuner.. Les scénes tranquilles, se p tant tous les jours, sont également plongées dans lumiére dure et claire du moderne. Chez Léger ⅱ n'y a pas de place pour 厄 romantisme et l'intimité, pas un soupqon de sentimentalité n'entoure ou ne réchauffe les motifs de vie quotidienne de femme. De faqon clairement visible et modelés vigoureusement, Léger présente vue du contemplateur des tableaux compo- sés ぬ perfection—aux structures solides, dans grande tradi- tion classique de son pays. La conception des images de Léger qui atteint ね premiére maturité dans les années vingt, se base sur NicoIas Poussin ou Georges de ね Tour, les débuts de ね peinture franqaise, personnifiée en la Pietå d'Avignon. MaiS ce monde clair, rayonnant aux couleurs primaires froides a néan- moins traversé cubisme, cette CO enseignant une nouvelle faqon de voirles choses, telle qu'elle était pratiquée par Braque et Picasso depuis 1907 qui s'inspiraient mutuellement. Aprés avoir personnellement analysé profondément l'æuvre de Cézanne, Léger s'était détaché du néo-impressionnisme apparaissant dans les débuts de son æuvre. Vers 1911-12 , ⅱ a commencé sonderles possibilités que lui offraitle cubisme. A cette époque d , son æuvre progresse dans 厄 sens d'une monumentalité intérieure qui se fait sentir méme dans un petit format et qui a plus tard mené de grandes compositions caractére de peintures murales, rarement atteintes par les autres peintres du moderne classique. Depuis 1912 , Léger a abO sa forme caractéristique du cubisme n'ayant pas, comme chez Braque et Picasso, de plus en plus tendance ね surface, mais produisant une plasticité vigoureuse, lui permettant d'intégrerles sujets etles motifs de son époqUe dans ね syntaxe stricte de ses tableaux. Léger a trouvé厄 terme "contraste des formes" pour son cubisme per- sonnel qui faisait preuve, en plus, de couleurs fortes, s'opposant également 自 palette discrétement monochrome de Picasso et Braque des années 1910 1913. En choississantles couleurs claires, non-réfractées, Léger se rapprochait du cercle de RObert DeIaunay qui,lui aussi a incorporé dans ses sujets de faqon trés décidée les symboles de vie moderne, tels que ぬ Tour Eiffel ou les sportifs. Le principe de Léger, c'est-å-dire, de construire 厄 tableau en se servant des rythmes fendillés, droits et ronds des formes, a tenu lumiére comme cela a pratiqué parles cubistes de la premiére heure en permettant d'éprouver des sentiments d'une densité differente pourla matiére thématique. Tandis que Picasso et Braque ont aspiré une unification des différentes vues et qualités du visible dans cadre d'une structure d'image nouvelle et abstraite, Léger continue maintenir le schéma de l'image de は figure et du fond—malgré toute confusion. Mais ⅱ met ce schéma en mouvement ce que l'on peut observer dans chOix de ses sujets partir des acrobates volants jusqu'aux plongeurs ou bien les ouvriers se tenant en équilibre dans l'espace du ciel. L'analyse des moyens artistiques de ぬ forme, de ぬ couleur et de ね surface, éloigne Léger d'un c う de ね réa- lité ViSible pour ramener de l'autre cöté nouveau は réalité de civilisation monumentale, interprétée de maniére moderne. Depuis les débuts de ses tableaux aux nuages de fumée en forme de boule jusqu'äね derniére composition avec des oiseaux, ⅱ y a chez Léger quelque chose "d'intermédiaire" entre les éléments de ぬ réalité, ne s'intégrant pas dans 厄 concept uniforme du contenu, bien qu' étant des fOis interprété de faqon figurative (nuage) cependant dans ね plupart des cas de faqon ornementale. Justement dans ces formes charnues s'incarne tout ce qui est rond ou en croissance et vivant ce qui était peu considéré parles cubistes. A ね fin des années vingt, l'idée origi- nale des "contrastes des formes" s'est élargie pour former un vis-å-vis passionnant entre les hommes et les choses. Pour cela l'artiste a créé les conditions en transformant la caisse de l'image parfois limitée parfois méme étroite des représentations des intérieurs en un espace imaginé de faqon ouverte et libre étant 自 sa disposition en tant que continium pour de différents éléments de a ⅱ t . Avec les constellations surprenantes réa- lisées de maniére exemplaire dans la composition avec la Gia- conda de Leonardo, Léger n'a pas touché l'inconscient des sur- réalistes mais plutöt un Qa mis au-dessous du MOi. Léger ne dégage pas un secret individuel, mais, en voyant les choses imperturbablement claires, ⅱépie l'absurdité qui apparait tout de méme dans les contrastes. Cependant, Léger ne souffre pas des contradictions se faisant jour, mais ⅱ savoure l'attrait de nouveauté et des choses non encore vues•, ⅱ entreprend des expéditions visuelles dans cette région de "l'intermédiaire" qui ne peut quand méme jamais échapper au contröle de sa clarté créatrice. Pourtant les motifs du nu ou bien du visage féminin ainsi que les fragments des arbres ou des racines représentent des symboles pourles forces insondables de ぬ nature, qui ne sont, cependant, pas intégrées comme des forces surréelles- démoniaques, maiS comme des partenaires naturels de l'homme dans un ordre du tableau 自 saisir dans toute son étendue. Pour pénétrer plus profondément dans 厄 centre de ぬ con- ception des tableaux de Léger, ⅱ convient de s'occuper d' un détail ne paraissant d'abord pas trés remarquable, mais qui devient plus tard essentiel dans son pense iCi aux yeux qui nous regardent, les contemplateurs partir des tab- leaux. D dans les compositions cubistes des fOiS monumen- tales, talles que «Femmes en bleu» de 1912 , on peut 厄 plus faci- lement identifier et lire les figures dans l'engrenage compliqué de ぬ structure du tableau en se laissant guider parles yeux ayant dans は plupart des cas ぬ forme d' amendes aux regards assez fixes. Dans les années vingt, 厄 regard du tableau devient Fernand LEGER
obscur, et on y VO 杙 des traces de modelé. Les "flux de couleur" vivement et nettement coloriés, se déplacent avec aisance et suscitent l'illusion de ね profondeur spatiale. La charpente de ね tOile est essentiellement soutenue par des bandes, des roues de couleurs et par des contours noirs. Le centre est occupé par une bande bleue qui s'étend 自 l'horizontale comme une sorte de lin- teau. SurIe cö怕 gauche, une bande orange verticale vient s'y croiser, et sur cöté droit, c'est une grande roue écarlate qui soutient ね bande centrale. Ⅱ y a des voltigeurs, des écuyers, un Pierrot, des acrobates, en tout neuf personnages, et un cheval, ainsi que plusieurs accessoires de cirque. La bande circulaire rouge représente cer- tainement un C, initiale du mot "cirque". C'est peut-étre aussi une évocation de la forme circulaire de la piste du cirque. «La Grande Parade» estl'expression de ce qu'il y a de meil- leur dans l'art du cirque, et c'est, dans méme temps,le point culminant de l'art de Léger.. On peut y voirle bilan final du travail d'une Vie. Ce qui nous est donné VOir ici, étayé par l'assurance de l'artiste, c'est une orientation artistique explicite que ド on peut qualifier de "nouvelle peinture réaliste", et qui n'est ni une imitation ni une reproduction de ぬ réalité,—c'est l'horizon qu'il a défriché lui-méme, apréS étre passé par divers courants de l'art moderne—post-impressionnisme, fauvisme, cubisme. L'année qui suivit l'achévement de cette æuvre, la Vie du peintre prit fin 17 aoüt 1955 , trois ans aprés son installation Gif-sur-Yvette, dans ね banlieue de Paris. Ⅱ avait soixante- quatorze ans. Les æuvres de Léger n'ont pas prévu ね situation cruelle de ね société d'aujourd'hui dans laquelle l'homme est aliéné et démoli parla machine. Ⅱ ne lance pas d'avertissement devant 厄 destin qui rendra peut-étre fatal ces techniques inventées par l'homme. Ⅱ n'y a pas chez luile désir de se moquer de l'essence de ね civilisation scientifique en mettant cyniquementle doigt sur ses aspects négatifs. Ce fils de paysan solidement charpenté, profondément et vigoureusement enraciné dans sa terre natale de Normandie, a contemplé avec une curiosité inassouvible et une émotion neuve,la société moderne de la civilisation de は machine dans sa phase de développement. ⅱ a scrutéは réalité, et a dressé "le procés-verbal de son époque". Ne se limitant pas 自 une descrip- tion explicative, ⅱ a réussi tirer de la Vie quotidienne dans sa routine et dans son affairement une "épopée du peuple" d'une généreuse ampleur,. Léger a construit son usine dans un pays de Cocagne" moderne, dans une Arcadie du travail et y a ins- t ses machines. Et , ⅱ a joui des structures solides net- tes, du bel éclat métallique des parties détachées des machi- nes. Ⅱ ne se pose pas en critique aigu de la SOC , ⅱ n'en dénonce pas impitoyablementles maux, jetant ceux-ci aux yeux du public, mais ⅱ coule un regard plein de bonté vers ceux qui, hommes ordinaires, se livrent des lOiSirs comme le V ー 0 , le pique-nique, ね plongée sous-marine, et en fait une description paiS ・ ible. Son intérét s'est concentré sur les aspects visuels, plastiques des choses, et ⅱ a raconté sans jamais se lasser plaisir de vivre, les réves de l'existence des travailleurs l'åge technologique. Ⅱ ne fut pas envoüté comme ses contemporains, artistes ぬ pointe de l'avant-garde, par ね "magie de は beauté" Fernand LÉGER 40 n'a pas instauré un univers artistique difficile et ésotérique. Sa maniére VOlue chaque période, maiS sur la totalité de sa Vie, ⅱ n y a pas de contradiction majeure dans contenu de son tra- vail. Ⅱ ne se fourvoie pas dans des impasses, ⅱ est un peintre qui tout droit, sans hésiter, continue son chemin dans la pein- ture. Se plongeant tout entier dans は réalisation, ne faisant pas partie d'une classe privilégiée, Léger a créé un grand nombre d'æuvres monumentales, en les destinant dans son idée aux classes populaires. Ⅱ a réussi faire de sa Vie une Vie de peintre ne déviant pas de sa ligne d'honnéteté mo 「 a , une vie trés four- nie de plasticien. Le caractére populaire de sa peinture est un point de contro- verse. Depuis qu'il en fit l'expérience durant la premiére guerre mondiale,le sentiment de solidarité avec peuple ne quitta plus. ⅱ visa un "art pour tous ” , eutle désir de peindre une pein- ture facile comprendre et de recevoir l'adhésion d'une large couche sociale, et fit des efforts pour ériger un "Olympe du peu- ple", 0 む trönerait ね désse populaire du Beau. En 1945 , s'il entre au Parti Communiste Franqais, c'est dans l'espoir de renforcer en tant qu'artiste sa solidarité avec peuple. Pourtant, que ce SOit lors de ses nombreuses expositions personnelles, ou lors des rétrospectives qui lui furent consa- crées aprés sa mort, on n'a jamais dü y entendre pousser de ces cris d'alarme joyeux qui indiquent que les files de visiteurs sont interminables et qu'il y a une foule noire devantles tOiles accro- chées. Ce n'est pas 自 Léger qu'il faut demander は virtuosité de Chagall qui captive les cæurs, en lanqant sur eux son filet de douce fantaisie. Ⅱ n'eut pas non plus l'occasion d'étre adulé comme Renoir avec ses tOiles qui connaissent fond la faqon de toucherla fibre sensible du grand public. En somme, Léger ne parvint pas atteindre une popularité décisive. Le but de ses efforts fut de créer "pourle plus grand nom- bre", maiS sa peinture demeura en fin de compte une peinture appréciée d'une élite cultivée, raffinée aussi bien du point de vue intellectuel que du point de vue esthétique. Tout en conce- vantl'espoir d'étre compris du grand public, ⅱ n'aura pas vu cet eSPOlr Slncére exauce. Cependant Léger aura eu ぬ chance d'étre compris par une poignée de vrais admirateurs et de posséder comme ami de toute une vie remarquable artiste que fut Le Corbusier. Ⅱ nous est impossible de savoir quelles pensées auraient remué厄 peintre devant les profondes ténébres qu'engendre cette différence de niveau insurmontable, et selon ses propres termes, ce "contraste" violent entre ね SOC technologique, utopique, répétition de son réve d'espoir, etle noir tableau de ぬ SOC 怕 du XXéme siécle, qui a fait l'expérience de deux guerres mondiales. [Traduction Fumi YOSANO]
tendance taxait les avant-gardes de décadence due 自 l'indivi- dualisme. Ce mouvement, qualifiéégalement de "Retour l'ordre" sou- tenu par l'idéologie conservatrice en France, a exercé une grande influence. A ね v ⅱ怕 , cette faqon de penser n'était pas nouvelle. D , au moment de la naissance du cubisme, les criti- ques de droite avaient soutenu mouvement au nom de la tra- dition nationale. lls voyaient dans ぬ filiation de Cézanne au cubisme, qui insiste sur la forme et は raison, une opposition ね décadence impressionniste, fondée sur les couleurs et la sen- sibilité. Cette idéologie considérait encore ce retour 自 forme et la raison comme synonyme du renouveau de la tradition franqaise, méditerranéenne et classique. Des artistes comme Juan GriS, Severini, Picasso qui avaient t cubistes ou futuris- tes, ralliérent ce mouvement et abandonnérent pour un temps leurs recherches d'avant-garde. «Le Mécanicien» (fig. 4) peint en 1920 et ね série «paysa- ges animés» sont les premiéres æuvres de Léger qui 1 moi - gnent de sa réaction vis vis de cette tendance. Dans "Le Mécanicien", Léger choisit pour sujet un ouvrier d'usine, théme typique de l'esthétique de ぬ machine. Cependant, dans ce tableau,la figure principale n'est plus une machine ou un - ment mécanique, maiS corps humain, musclé, d'un ouvrier qui fume tranquillement une cigarette. Cette composition associée un dessin géométrique en arriére-plan établit un équilibre et un dialogue entre ね beauté de ね machine et l'homme qui ね conqoit et l'utilise. Le style primitif de ce modelé, rendu avec simplicité, fait songer aux peintures d' Henri Rousseau. Dans cette æuvre, la dissonance entre l'homme et la machine a diS- paru. Léger manifeste sa volonté d'établir un nouvel ordre dans ね société technologique, sans opposerlatradition åla modernité. Le «Grand Déjeuner» (fig. 5) de 1921 , est l'æuvre ね plus im- portante de son époque néo-classique. Léger choisit de repré- senter trois femmes nues, théme classique par excellence. Dans cette tOile, les lignes horizontales assurent ぬ stabilité de composition. C'est un chef-d'æuvre du néo-classicisme, au méme titre que «TrOis Femmes ね source» (fig. 6) de Picasso, peint la méme année. Toutefois, Si la peinture de Picasso rap- pelle une fresque classique, Léger,lui, choisit de donner aux corps féminins une texture lisse et ferme, identique celle des Objets disposés autour des femmes. ⅱ remplace ainsiles caté- gories traditionnelles de l'art parles termes de technologie. Dans un texte rédigé en 1923 , Léger note: “ Un tableau organisé, orchestré comme une partition, a des nécessités géométriques absolument semblables toute création objective humaine (réalisation industrielle ou commerciale). ' Sila logique du modernisme légitime courant vers は pure peinture abstraite, néo-classicisme d'aprés-guerre constitue une réaction conservatrice. Chez Léger, cependant, cette expé- rience du néo-classicisme allait lui permettre d'affirmer ses con- victions: réaliser une harmonie entre l'homme et la machine. ・ Léger etles avant•gardes Le parcours de Léger rencontre ici celui de l'architecte- peintre CharIes-Edouard Jeanneret—dit Le Corbusier—et du peintre Amédée Ozenfant qui inaugurentle "Purisme". En 1918 , Fernand LEGER 50 Jeanneret et Ozenfant publient un livre intitulé "Aprés 厄 cubisme". En 1920 , ils lancent は revue "Esprit Nouveau" qui devait jouer un röle primordial dans ね critique d'aprés-guerre. En 1920 , Jeanneret réalise «Nature morte 自 pile d'assiet- tes» (fig. 7). Cette æuvre se situe dans ぬ lignée des tableaux cubistes, maiS pourtant nous pouvons y reconnaitre divers - ments qui en sont résolument différents et qui illustrent ce que sera Purisme. Si un instrument de musique et des assiettes —objets familiers des æuvres cubistes—sont représentés sous plusieurs angles, schématisés et mis en äplat, ils gardent toute- fOiS leurs contours contrairement au mode de représentation cubiste 0 む les Objets sont décomposés jusqu'åは limite de l'abs- traction. Léger, tout comme Jeanneret, semble mettre en valeur ね beauté intrinséque formelle des Objets industriels. C'est par ce biais que les deux peintres placent les objets industriels et les æuvres d'art sur un méme plan d'égalité. L'amitié entre Léger et Le Corbusier était née. En 1921 , Léger expose «Grand Déjeuner» au SaIon d'Automne. La revue "Esprit Nouveau publie un compte-rendu de l'exposition et place en vis vis sur deux pages une reproduction du tableau et une photographie du paquebot "Paris", pour mieux montrerle rapport esthétique commun aux deux réalisations. La rencontre avec Le Corbusier a permis Léger d'appro- fondir sa réflexion sur les rapports entre architecture et pein- ture. En 1925 , 自 l'occasion de l'exposition des Arts Décoratifs, Le Corbusier réalise son célébre Pavillon de l'Esprit Nouveau (fig. 8) qui témoigne de sa conception de l'architecture moderne. Et c'est un tableau de Léger, «Le BaIustre» (fig. 9), qu'il choisit de placer 自 l'intérieur. A cette méme exposition, maiS pour PaviIIon dessiné par Robert Mallet-Stevens, Léger réalise une peinture murale dont ぬ composition est purement abstraite. Le Purisme a exercé divers effets sur Léger.lll'a d'abord aidé自 comprendre l'esthétique des Objets produits par ぬ tech- nologie, saisir l'importance d'une conception qui crée une synthése avec l'architecture, ensuite illui a permis de connaitre les autres mouvements avant-gardes qui fleurissaient un peu partout en Europe. L'intérét de Léger pour mouvement "De StijI" n'était pas sans rapport avec "Esprit Nouveau ” , mais ⅱ venait aussi de ぬ relation qu'il avait avec ね galerie "Efforts Modernes" dirigée par Léonce Rosenberg avec qui Léger avait établi un contrat pendantla guerre. Cette galerie avait en effet témoigné trés töt de son intérét pourle travail de Mondrian et de Van Doesburg. Dés 1923 , Rosenberg avait organisé une exposition consacrée au groupe "De Stijl". En contrepartie, des æuvres de Léger et texte de sa conférence avaient 1 publiés dans ぬ revue du groupe. C'est aussi ce qui explique que ses «Compositions murales» SOient extrémement proches du style trés abstrait qu'il utilise autour des années 1925 (cat. no. 32 ). Léger s'intéresse également au constructivisme qui apparait en Russie, aprés ね Révolution de 1917. Ses premiers contacts avec は Russie remontent 自 l'époque 0 むⅱ vivait "La Ruche", 自 Montparnasse. C'est qu'il devait rencontrer des artistes rus- ses comme Chagall ou Alexandra Exter. En 1922 , Elsa TriOlet lui avait fait rencontrer poéte Maiakovski. Aussi éprouva-t-il un grand intérét pourla situation politique et culturelle de l'Union
mettre en évidence la réalité dans toute sa misére. Cependant, dans les tOiles de Léger, on ne VOit pas ね「 ep 「 0- duction crue de cette sorte d'atrocités qui donnent envie de se voilerle regard. Si l'on compare Dix et Léger,la différence de leurs deux tempéraments est évidente. En 1916 , aprés avoir 怕 gazé surle front de Verdun, Léger est envoyé dans un höpital des environs de Paris. A ね fin de l'année suivante, ⅱ est démobilisé et son expérience de は guerre se termine は . ・ La machine/l'homme/la peinture Aprés guerre, Léger va chercher directement ses thémes dans l'univers des machines et des travailleurs, dans les phéno- ménes sociaux en général. C'est une nouvelle étape dans son rapprochement avec la r a ⅱ 1 . Dans une SOC 一 exténuée par les désordres de ぬ guerre, un peu partout des mouvements qui veulent tracer des VOies, prennent naissance, qui sont la recherche d'un "ordre nouveau ” , méme dans domaine de l'art. La machine, le travail, qui manifestent 自 coup Sü「 une réponse, conviennent parfaitement comme thémes (cat. nos. 11 , 60 ). Ⅱ découvre de ぬ beauté dans machine—ce produit de ね technique moderne qui répéte l'infinila méme action selon un schéma déterminé, jusqu'ä ce qu'il SO 杙 cassé. Le charme qui se dégage des parties métalliques des machines brillamment polies, le vrombissement régulier des moteurs, 厄 dynamisme préCiS des machines en marche, le rythme sévére des divers processus repris indéfiniment, la lumiére artificielle intense qui éblouitles yeux,les signaux qui clignotent. Tout ceci fait partie de ね physionomie des lieux de travail. Léger va jeter un coup d'æil dans l'enceinte des grandes usines et peint de ね société ouvriére moderne un portrait, plein d'humanité, qui donne en méme temps une définition humaine et esthétique de ね grande ⅶ巨 Le sujet principal de は peinture du XXéme siécle, selon l'affir- mation de Léger, est constitué parl"'objet moderne",inventé par は soc 怕 industrielle. Le prOPOS de Léger était qu'il devait étre par exemple possi- ble de jeter son d VO 旧 sur un de ces Objets issus de l'usine, de lui donner une modulation, une caractéristique, qui en ferait l'expression de は situation et du sentiment régnant dans l'uni- vers des travailleurs dans sa globalité. Ⅱ essaya de découvrirles nouvelles possibilités du réalisme en peinture en observant l"'objet moderne ” et en y décelant une beauté de ね technique. Chez les futuristes italiens qui ont donné une expression la civilisation de machine dans son tourbillon de vitesse et de mouvement énergique, on trouve, premiére vue, un semblant de ressemblance. Néanmoins, chez Léger, ⅱ n'y a pas ce tour d'esprit littéraire présent chez Marinetti,Ie héraut du Futurisme, avec lequel ⅱ eut d'ailleurs un échange de correspondance, et dont l'exaltation agressive lui était tout 自 fait étrangére. Léger est également proche de ぬ sensibilité de Dada qui discerne dans la machine une personnalité, une originalité. MaiS goüt de saisirles choses dans un esprit critique, de les exagé- rer de faqon théåtrale, de les chanter de maniére lyrique n'est pas dans 厄 genre de Léger. Ⅱ dépeintl'objet de maniére plus réelle. Le 「 ObOt de ぬ toile qui estle "fils de machine" ne se veut pas une parodie caricaturale de は silhouette et du compor- tement humains, dans contexte d'une analogie entre ね machine et l'homme. TO 猷 simplements, ⅱ n'est traité que surle plan plastique. La peinture de Léger apporte une réponse sincére, qui repose sur son expérience, l'époque en marche dont ⅱ est le contemporain et dont ⅱ a suivi le cours. Le peintre commence d'abord par décomposerle résultat de son expérience vécue, et aprés l'avoir iSOlé du contexte réel, en exécute nouveau une reproduction sur ね tOile en transposant en une imbrication de formes dynamiques. Chacune des parties, qui composentla sur- face de tOiIe selon une ordonnance plastique distincte de chose réelle, nous permet de suivre cheminement du peintre dans sa contemplation, dans son contact, dans son écoute de ね a ⅱ . Léger fait ね description d'une utopie dans laquelle fonctionne ce réve de l'äge de ね technologie, は machine impré- gnée d'humanité dans laquelle l'homme etla machine cohabi- tent sans heurts, dans l'harmonie. •«La ville» Aprés ぬ guerre, ⅱ entre dans un nouveau stade et cette pein- ture nouvelle demande une technique de peinture adéquate. A cette époque, ⅱ ne peint plus les formes avec un modelé qui rend le clair-obscur avec SOin, maiS ⅱ procéde par larges aplats. Toutefois, ⅱ apporte ぬ plus grande attention au contour et la couleur.. La composition se VOit attribuer une construction rigide, et se présente comme un assemblage équilibré. L'habi- 厄怕 des formes et des contrastes est toujours aussi prodi- gieuse. On croirait étre en train de regarder un kalä・ doscope aux couleurs vives. De nos jours,la décoration de vitrine continue étre stimulée par ce sens-lå du design. «La ville» (fig. 4) qui date de 1919 , et «La ville» de ね méme année, nous montrent ces caractéristiques. Des couleurs forte- ment contrastées, une résonance entre la part abstraite et la part figurative des motifs crée une sensation d'élan généreux et riche de Vie. Avant premiére guerre mondiale, Léger peignait "vil- lage", partir d'une composition de sphéres, de cönes et de cylindres. En traversant la guerre, son regard se dirige vers la réalité de son temps et choisit comme sujet mouvement dynamique de ね grande ville. Ⅱ est attiré parl'élan, parla g 0- métrie, parles couleurs de は ville dans leur modernité. C'est surtout vers les couleurs de ぬ ville que se porte son intérét, et ⅱ goüte 厄 charme des teintes qu'ontles murs dans les architectures modernes. Léger a aiméね grande ville. •«L'homme 目 pipe» En 1920 , Léger faitla connaissance de Le Corbusier ( 1887- 1965 ) , cette grande figure de l'architecture moderne, qui fut éga- lement peintre et sculpteur, et noue des relations d'amitié qui dureront parla suite. Est souvent signalée ね similitude entre ぬ peinture de Léger etle "purisme" de Le Corbusier qui continue cubisme en l'épurant et en poursuivant de faqon radicale une rigoureuse géométrie, et en effet, les tOiles de l-éger sont dOtées d'une grande présence et d'un 0 「 d 「 e semblable celle des pein- tures murales, s'harmonisent avec les nouvelles COnStrl-lCtiOtÄS Fernand LEGER
lntroduction Georges Bauquier L'æuvre de Fernand Léger apparait comme un indéniable témoignage de cette époque de l'histoire de I'Humanité, histoire qui jamais n'avait connu de bouleversements aussi profond que depuis un S 港 C . Tout dans tout de nos jours, estla résultante d'étonnants progrés, d'extraordinaires découvertes. A une telle période de bouleversements ね peinture n'a pas échappé. A la fin du SiéCle dernier, l'impressionnisme a provoqué de tels changements que 厄 philosophe et critique d'art Pierre Fran- castel a pu écrire: " Ⅱ y a plus de chemin entre Delacroix et Matisse qu'entre Delacroix et Véronése ou Le Titien. ApréS l'impressionnisme et Cézanne, cubisme provoque une rupture tOtale avec l'art etles traditions du passé Léger, un de ses créateurs avec Braque, Picasso, Juan GriS, subit, ses débuts, l'influence de l'impressionnisme et celle de Cézanne mais ⅱ s'en dégage trés vite les jugeant inaptes exprimerles réalités nouvelles nées des incessantes mutations d'une CiVili- sation, mutations avec lesquelles ⅱ veut étre au diapason: "La vie moderne est tellement différente, autre que celle d'il y a 100 ans, que l'art actuel dOit en étre l'expression ” estime Léger, ajoutant que "si l'expression picturale a changé c'est que ね vie moderne est beaucoup plus condensée et plus compli- quée que celle des siécles précédents.. "L'homme moderne enregistre 100 fOis plus d'impressions que l'artiste du XlXe s 港 c 厄 ... condensation du täbleau moderne, sa variété, sa ruptUre des formes est ぬ résultante de tout ce は . ” La guerre de 1914-1918 (Léger fut g Verdun en 1916 ) , est, pour lui et pour son æuvre, d'une exceptionnelle importance par ぬ double révélation qu'elle lui a apportée, celle de l'homme, celle de ね machine. Ⅱ découvre alors l'importance de ぬ machine, importance sans cesse accrue dans la tuerie journaliére, quilui fait pressen- tir, は paix une fOiS revenue,la naissance d'une civilisation nou- velle dominée par la machine, la vitesse, une civilisation sou- mise d'irrésistibles courants novateurs. Cette vie nouvelle qui s'offre lui l'intéresse pleinement et ⅱ se trouve 自 l'aise au cæur des grandes CitéS éclatantes de lumiére, frémissantes d'intensité, bouillonnantes de Vie. "Une æuvre d'art, dit-il, dOit étre significative dans son époque, comme toute autre manifestation intellectuelle quelle qu'elle SOit. La peinture parce qu'elle est visuelle est nécessaire- mentle reflet des conditions extérieures et non psychologiques. Toute æuvre d'art dOit comporter une valeur momentanée et éternelle qui fait sa durée en dehors de l'époque de sa réalisa- tion. Pour aboutir une telle "æuvre significative dans son temps" Léger devait en "forger l'outil". Ⅱ rejette toutes les réminiscences des influences passées, dépouille sa peinture de tO 猷 expression- nisme, repousse les artifices,les séductions du "métier" ・ "Une peinture ne devant pas chercher reproduire une belle chose mais faire en sorte que ね peinture SOit une belle chose. Ⅱ crée alors une peinture autoritaire, franche, volontaire 0 む Fernand LÉGER